Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/306

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couvre de beaux pâturages, où, ci et là, une vache attachée à un pieu tond du pré la longueur de sa corde. De chaque côté se dressent des parois de rochers couronnées de bois, et, par delà, au travers de chaque interstice que laissent entre elles les dernières sommités, l’on voit briller sur l’azur du firmament une chaîne continue de glaces éclatantes. À Randah, ces glaces descendent jusque dans le voisinage des pelouses, et du sein de la gorge où elles s’étalent majestueusement, arrive aux oreilles cette voix sonore des eaux, toujours continue, mais tantôt rapprochée et grossissante, tantôt lointaine ou affaiblie, selon que le vent dans ses caprices l’emporte vers les hauteurs ou la chasse sur le vallon. Du reste, pas une âme dans les villages ; tout est aux forêts ou au Schauspiel.

Après Randah, l’on entre dans les bois pour y marcher de taillis en clairière, jusqu’à ce que l’on gravisse un dernier escarpement qui barre l’entrée du plateau où sont assises les cabanes de Zermatt. Comme nous montons en conversant avec un bon vieux « tout chargé de ramée, » une dame parée de ses habits de fête ne fait qu’apparaître au sommet du chemin, pour rebrousser aussitôt. C’est l’hôtesse de Zermatt qui renonce, en nous voyant venir, à se rendre aux fêtes du Schauspiel, et qui court en toute hâte disposer sa maison, emprunter des gîtes et assembler des vivres. Lorsque nous avons atteint la place qu’elle vient de quitter, un magnifique spectacle se déroule à nos regards.

Chamonix est beau, et nous ne prétendons point contester à la vallée qui porte ce nom sa supériorité d’auguste magnificence et de colossale sublimité. Mais si ceci est moins somptueux, ceci est autre en même temps, et rien, à Chamonix même, pour ceux du moins qui se bornent à visiter le prieuré, ne frappe autant que cette effroyable pyramide du Cervin, qui ici s’élance, reine et isolée, de dessus les dômes argentés de la grande chaîne, pour aller défier la tempête jusqu’au plus haut des airs. Que si, détournant son regard de ce géant qui prend à lui toute l’impression première, on le porte ensuite sur le reste de la contrée, on y découvre une harmonie d’éclat, une symétrie balancée de formes, des atours de verdure et de fraîcheur qui bien rarement se rencontrent ailleurs au même degré. De la pelouse du vallon, les yeux remontent le long de chauves contre-forts jusqu’aux dômes glacés qui forment en face le col aplani de Sainte-Théodule ; et tandis qu’à droite le Cervin penche de toute sa hauteur sur l’abîme, à gauche le Breithorn et le mont Rose, hérissés de pics et tachetés d’arêtes, étalent aux rayons du couchant là leurs cônes arrondis, plus loin leurs rampes cintrées ou leurs prismes angulaires. Et