Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

improvisé, et comme on n’improvise guère un repas qu’autant que la faim est là, il s’ensuit que les buvettes sont en réalité de nos festins les plus gros, ceux du moins où se consomment avec le plus d’avidité des vivres pesants, compactes, du pain frais, par exemple, et du fromage gras. Mais à Frangy, pays de vignobles, nous arrosons la chose d’un petit vin gazeux, qui, comme l’eau de Seltz, lance au nez des buveurs des bulles d’air à la grande satisfaction de l’organe. Trois de nos corbeilles nous quittent ici, une seule, celle des coqueluches, poursuit avec nous. Toutefois M. Töpffer la prie de vouloir bien prendre les devants, et il retarde le moment du départ jusqu’à ce qu’elle soit depuis un quart d’heure hors de vue. C’est que M. Töpffer a remarqué que lorsque sa troupe chemine loin, bien loin de toute voiture, de toute possibilité de voiture, nul ne tire la jambe, tous cheminent bien et gaiement. Tout au contraire, lorsqu’il y a char parmi la bande, et par conséquent chance d’une place dans ce char, aussitôt prennent naissance les éclopés, un d’abord, puis deux, puis vingt-quatre, qui assurent être incapables de pousser plus loin. À tout prix il faut éviter ces mollesses, car il y va de l’agrément même du voyage, et c’est ce qu’on fait en brûlant ses vaisseaux pour ne compter plus que sur soi et son bâton.

Il est une heure, le soleil tapâtes ferme. Néanmoins Hippolyte se met à poursuivre les papillons, et tout à l’heure, entraîné bien loin dans la campagne, on le perd de vue pour deux heures de temps. Il reparaît alors, enrichi de capricornes et glorieux de papillons ; mais dans sa course vagabonde il a perdu l’unique écu dont se composait son avoir et celui de son frère Henri. En revanche, au moment où Hippolyte, voulant boire à une source, demande à son frère leur coco commun, il se trouve que Henri, tout en philosophant, l’a oublié bien loin en arrière sur la marge fleurie d’un ruisseau. Il ne manque donc plus aux deux frères que de s’emménager dans un tonneau pour être l’un et l’autre comme Diogène, sans écu et sans écuelle.