Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/390

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temps s’avance à notre rencontre, et aussi un fou qui, hagard, indigné, furieux, passe outre, sans d’ailleurs jeter sur nous un regard. Plus loin, c’est un cheval mouillé, autour duquel discourent sans fin des manants attroupés. Le cas en vaut la peine. Ce cheval, en effet, vient de passer sur un pont qui s’est brisé sous lui, et il s’agit d’expliquer comment il a pu tomber dans la rivière sans se faire aucun mal. Enfin le vicomte encore, qui nous dépasse blotti dans le fond d’une calèche amarante, pendant que son héron, placé en face, fixe d’un œil mélancoliquement poissonneux les flots tout voisins de l’Aar. Ces messieurs s’arrêtent à Brienz pour y attendre, ainsi que nous, le bateau à vapeur, et tout en échangeant avec eux quelques propos, nous venons à découvrir que la géographie du petit bonhomme est de nature à lui valoir chaque jour les agréments de la surprise et le charme de l’inattendu. En gros, il tient pour certain qu’il fait sa tournée de Suisse. « Chien de pays, dit-il, les puces y abondent, et pas un cigare passable ! » Mais ceci posé, il place d’ailleurs Genève plus haut que Lausanne, le Saint-Bernard au milieu et Berne tout à côté ; puis, si quelqu’un y trouve à redire, net il l’envoie promener : c’est sa manière. Ah ! le drôle de particulier, ignorant avec aplomb, fat sans vanité, aisé et naturel jusqu’à l’impertinence, content quand même, et vicomte en sus !