Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/402

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sa bande jusqu’au bout du monde. Quand, un beau soir, M. Töpffer eut lâché le mot de Gênes, il voulut bien le rattraper, mais il n’y parvint pas. C’est sur Gênes, lecteur, que nous allons nous acheminer.

Mais pas encore, si vous voulez bien. Il n’y a pas rien que les pensions qui voyagent ; la fièvre aussi, la fièvre typhoïde fait ses tournées, et, au moment où nous allons franchir le seuil, la voilà qui entre dans la maison et qui y étend sur leur lit la moitié de nos compagnons. Les uns ne sont atteints que faiblement, les autres sont saisis avec violence, et leur havresac n’a pas encore été défait, que déjà l’on craint pour leur vie. Tristes jours, écoulés maintenant, mais point oubliés, où la joie, faisant place à de soudaines alarmes, semblait avoir fui pour jamais ! Grâce à Dieu, les alarmes ont fui à leur tour, la joie est revenue, et sans Gail qui garde encore l’hôpital nous serions déjà en route. Convalescent stationnaire, il fait des efforts d’esprit extraordinaires pour se bien porter ; mais, hélas, il n’y parvient point. « Comment êtes-vous, Gail ? — Voilà. — Bien ? — Voilà. — Mal ? — Voilà. » On le lève, on le couche, on le promène en voiture, on essaye potions, consommés, et toutes les herbes de la Saint-Jean. « Comment êtes-vous, Gail ? — Voilà. » On attend trois jours, quatre jours. « — Eh bien ? — Voilà. » Alors le médecin décide que Gail doit partir convalescent et que sa santé s’ensuivra. L’on essaye donc.

Le 19 septembre, les voyageurs prennent leur vol au nombre de vingt. Entre eux vingt, ils ont, au lieu d’un seul passe-port commun, cinq passeports divers, nombre effrayant si l’on multiplie par cinq tous les ennuis dont chacune de ces paperasses peut devenir l’occasion dans les contrées que nous allons parcourir. Le temps d’ailleurs est magnifique, et la chaleur si étouffante, que, dès les portes de Genève, plusieurs s’imaginent que le soleil de Gênes est venu à leur rencontre. Heureusement des voitures sont là, dans lesquelles nous montons pour y trouver, sinon de l’air, du moins de l’ombre.

Ces voitures sont au nombre de trois. L’une, voiture de secours, qui doit faire avec nous tout le voyage. Cette voiture est ce que nous appelons à Genève une brelingue, c’est-à-dire voiture qui a de l’âge, du service, des antécédents de fatigue et d’épuisement : on dirait une veuve en deuil de l’époux qui la battait. Des deux autres, la première est un cabriolet borgne, où le voyageur Gail secoue sa convalescence ; la seconde est un petit char où M. de Saint-G***, voyageur agrégé, de très-haute taille, se ploie en quatre quand il veut y entrer. Ces trois voitures sont mises en mouvement par des chevaux divers de taille, de couleur, de queue ou