Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/410

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à portée ! Qu’avec peu de chose la ville serait moins délabrée, les habitants plus riches et plus propres ! Néanmoins, Annecy prospère dans ce moment, et la route d’Italie qui va, dit-on, y passer, améliorera ses destinées. Avant donc qu’Annecy se décrasse et se renouvelle, peintres, hâtez-vous d’y aller, et que vos portefeuilles s’emplissent des masures moussues, des arceaux vermoulus, des constructions gothiques qui, encore à cette heure, s’y réfléchissent dans des flaques dormantes ! Nous allons descendre à l’auberge de M. Wepfert, qui nous attend, dit-il, depuis douze jours ! et qui nous régale de carpes et brochets dans une salle à manger tapissée de batailles navales.

Les papiers à sujets ne sont plus de mode aujourd’hui dans les hôtels un peu fashionables. Mais en Savoie, et partout en général dans les hôtelleries de bourgades ou de bicoques, on les retrouve encore qui donnent à la salle à manger son lustre et sa physionomie. Batailles navales, pagodes, éléphants, mameluks, bergeries, l’Inde et l’Amérique, sont là représentés au naturel, et, fidèle aux mœurs, l’artiste a soin qu’en toute occurrence le Turc fume, le mameluk sabre, la bergère soit tendre, proprette et bien chaussée. Cependant les paysans admirent, les forains commentent, les commis voyageurs jugent ou expliquent, et chacun se plaît, moi aussi, au milieu de ces scènes qui, ridiculement exécutées d’ailleurs, peuplent néanmoins, tiennent compagnie, ou tout au moins récréent plus encore que ne peuvent faire des bariolages symétriques, des arabesques prétentieuses. Après tout, dans une auberge où l’on ne s’arrête que pour quelques heures, tout est bon de ce qui diminue l’impression d’isolement, et même des Turcs qui fument sous un kiosque rose, dans une prairie verte, à côté d’un Euphrate bleu, y sont de plus agréable société qu’une paroi mouchetée de losanges ou morne de raies majestueuses.

Mais dans notre siècle, la vie, la joie se retire de tout, même des papiers peints et des décors d’appartement, et si en toutes choses on y fait plus que jamais la part de l’orgueil et de la vanité, dont la mode, hélas, à défaut d’autre chose, est devenue le ministre aussi dépensier que capricieux et absolu ; moins que jamais on y fait celle du plaisir ou seulement de la récréation des yeux. Notre confort même, bien différent du bien-être, n’est guère qu’un étalage de commodités équivoques propres à marquer le rang, la condition, plutôt qu’à rendre le vivre facile, aimable ou riant. Que si vous êtes porté à trouver cette observation plus chagrine que juste, allez donc visiter, là où il s’en trouve encore, des villas, des demeures, des salons d’autrefois. Vous y trouverez avec bien moins d’osten-