Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/413

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tation que chez les opulents de nos jours, bien plus de vraie commodité, et jusqu’aux choses de luxe conçues en vue de plaire, d’égayer, de distraire, tout autant qu’en vue de briller par une stérile et plate somptuosité. Le salon en particulier, destiné aux réunions et aux fêtes, y scintille de dorures et de cristaux ; des consoles ornées de sculptures et de bas-reliefs y supportent des glaces encadrées dans d’élégantes moulures, et, au lieu de nos tristes meubles carrés, anguleux, prétentieusement simples et scrupuleusement symétriques, de bons sofas moelleux et arrondis, des chaises engageantes, des fauteuils bonhommes, hospitaliers en quelque sorte, et de qui la seule affaire c’est d’emboîter bien votre personne sans gêner vos membres. Quant aux papiers peints, pas question ; mais à la place, des tableaux de fruits, de fleurs, de chasse, de pêche, encadrés dans la boiserie au-dessus des portes et contre la paroi divisée en larges panneaux, ou bien une tenture de soie toute riante de couleurs vives et de broderies variées, ou bien, et plus souvent, des toiles peintes représentant des scènes bocagères, des ports de mer, des hommes enfin, des arbres, de la vie, ai-je dit, et cette sorte de vie justement dont le spectacle, au milieu d’une fête aux lumières, plaît par le contraste et séduit, occupe, contente l’imagination.

Sur ce, lecteur, deux aphorismes, après quoi nous irons nous coucher.

L’imagination est une bonne fille, mais qu’il faut amuser, entretenir, récréer, ou bien elle abuse de son oisiveté, et tantôt se dérègle, tantôt se déprave. C’est pour cela qu’il faut aux peuples des monuments, des peintures, des décors, des représentations décentes et des spectacles honnêtes. C’est pour cela qu’il faut à la vie domestique des embellissements d’art et de poésie, et, aux salons, plutôt encore des toiles représentant médiocrement des scènes d’hommes, d’animaux, de paysage, que des papiers peints représentant avec perfection des palmes disposées en quinconce.

La peinture et la sculpture sont des arts admirables, et vivent les chefs-d’œuvre ! Mais elles sont des arts gratuitement aristocratiques lorsqu’elles se bornent à produire pour l’usage des opulents des ouvrages rares, magnifiques et coûteux. Elles sont, au contraire, des arts bienfaisants et populaires quand à côté d’elles, et par elles, vivent la peinture et la sculpture de décor, c’est-à-dire non plus des arts mais des métiers, qui, médiocrement sans doute, mais à peu de frais, ornent les logis, égayent et peuplent les demeures, embellissent les lieux publics, et font