Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/420

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fraîche ! » Sur quoi il est fait sur place à cet homme un bon pour une paire de lunettes noires qui lui seront délivrées à Genève. Alors le pauvre cantonnier se remet à piocher tout réjoui et de bon courage. À l’heure qu’il est, il a ses lunettes.

Enfin, enfin, nous arrivons à Faverge. Gail lui-même, qui a été tenu jusqu’ici au régime, y boude son bouillon, et s’en vient donner sur nos vivres. En moins de rien, table nette, et plusieurs qui se sentent encore creux s’en vont chez le confiseur du lieu pour y compléter leur dessert. C’est un homme qui tient boutique en effet, mais, hors deux pipes en sautoir et trois pains d’anis en bocal qui lui servent pour la montre, il n’est assorti qu’en paquets de ficelles et en quartiers de savon. C’est égal : « Allons, voyons, messieurs, dit-il aux chalands, choisissez, faites-vous servir. »

D’autre part, M. Töpffer et son détachement sortent tout satisfaits de chez la marchande de tabac. C’est une bonne vieille qui cause avec sens et avec esprit. Pendant l’entretien survient un enfant bossu. « Qui est cet enfant, madame ? — C’est le mien, j’entends celui que j’aime, car il appartient à ma fille. Le voyant bossu et maladif, je le lui ai demandé, et comme elle en a cinq autres, elle me l’a cédé… Un brave enfant, messieurs ! Jusqu’à sept ans, il n’a pu se servir de ses jambes ; mais, à force de le frotter, je l’ai dénoué de façon qu’il marche comme un autre. Alors je l’éduquais de mon petit savoir ; maintenant, grâce à Dieu, il va à l’école et y est des premiers… » En disant ces mots, la bonne femme s’attendrit, et l’enfant la regarde dire d’un air de respect et d’affection. Ah !