Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/43

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tantôt enfin ils supputent par paroisses, et alors s’il y a deux paroisses seulement entre vous et le déjeuner, il faut vous apprêter à subir tous les rongements de la faim canine.

Ainsi faisons-nous ce matin ; et puis, à peine sommes-nous arrivés chez Godaz, qu’on nous apprend qu’il est à Seyssel !… Au même moment paraît sur le seuil madame Godaz, qui perd la tête en voyant une pareille tombée : « Mais, mes bons messieurs, vous êtes vingt de trop !… Songez qu’on n’est pas ici dans les villes ; je n’ai rien. Mangez-vous des saucisses ? — Nous mangeons de tout ! — Du beurre, du fromage ? — De tout, de tout ! — De l’omelette, de la soupe ? — De tout, de tout ! » Et le passage du désespoir à l’allégresse est si prompt, si électrique, que, tout fatigués que nous sommes, nous dansons sur la place même une ronde en l’honneur de madame Godaz. Puis, pendant que cette excellente femme fait en toute diligence les apprêts de notre repas, nous allons nous choisir notre salle à manger. C’est un verger bien vert, ombragé de grands noyers, et d’où la vue perce au travers des trouées du feuillage jusqu’aux ruines de Châtillon et aux plages azurées du Bourget. Tout à l’heure madame Godaz accourt, et le bouvier, et Jacques, et le voisin, chargés de pains, de mets fumants, de carafons et bouteilles. Vive madame Godaz ! s’écrie-t-on, et