Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/482

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du tout de ce qu’il va voir du nouveau, mais de ce que ses bêtes reposent. « Le foin, dit-il, n’est pas mauvais, et je vas les faire boire sur le son. Et puis on est là ! » Aussi passe-t-il fidèlement ses trois jours sur le seuil de son écurie, jouissant uniquement du bien que se font ses chevaux et des droits de poste qu’il ne paye pas.

À déjeuner, M. Töpffer donne le programme de la journée et il engage un domestique de place. Cet homme, dès la veille, a rôdé autour de nous, s’est rendu utile sans bruit, nécessaire sans embarras ; en sorte qu’au moment de choisir un cicerone, il se trouve là, sous nos doigts, tout comme s’y trouve la carte qu’un habile escamoteur veut que vous preniez lorsqu’il fait ses tours.

Ce brave bomme a pourtant dans l’œil quelque chose de renard qui ne nous frappe pas tout d’abord, tant il est modeste, franc, entendu, jaloux surtout de nos moindres intérêts. De l’air le plus ingénu, il conseille à M. Töpffer de le laisser faire pour les bonnes-mains, « car, dit-il, dans ces palais que vous allez voir, ils sont horriblement avides ; et tandis qu’un gentilhomme s’y ruine, faute de connaître l’usage et la mesure, nous autres, nous lui faisons des économies en ne donnant que ce qui est strictement convenable. » M. Töpffer trouve le raisonnement parfaitement juste, et il s’empresse de faire une avance de fonds à cet homme délicieux.

Messire Renard nous conduit donc de palais en palais, toujours en tête de la colonne, grave, plein d’honnêteté et de savoir-vivre. Pour plus de délicatesse, il compte sous nos yeux ce qu’il va donner à chaque concierge, mais nous, par scrupule, nous détournons le regard, afin de ne pas faire outrage à la probité d’un galant homme… jusqu’à ce que vingt francs ayant disparu en moins de deux palais, le galant homme réclame un nouveau dépôt de fonds… « Bien obligé, » dit alors M. Töpffer. Nous avons calculé depuis que de ces vingt francs seize au moins ont dû prendre le chemin de la poche de cet homme scrupuleux, sans compter nos gants laissés sur une console, ou nos cannes demeurées dans un angle. Le drôle s’est chargé de réclamer tout cela, et il l’a réclamé en effet, mais nous n’en avons plus entendu parler.

Les palais d’ailleurs sont magnifiques, magnifiques comme palais, mais parfaitement inconfortables comme habitations. Les sièges à hauteur d’appui, les consoles à hauteur du front, les glaces par là-haut. Partout luxe, beauté, majesté, mais plus rien d’accord avec les mœurs ; des salles de conseil, des salles de réception, des salles d’audience, pour une ville,