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de prochains droits de poste, et Oudi harangue un naturel majuscule qui ne comprend quoi que ce soit à cette cigale sitôt éveillée. Après que nous avons franchi la villa H***, nous nous trouvons dans un pays tout nouveau, et débarrassés dès lors de l’importunité des souvenirs, nous commençons à retrouver de la curiosité pour ce qui nous entoure.

Ce pays, c’est le rivage de la Méditerranée, que nous allons suivre de Gênes jusqu’à Nice durant quatre journées. Dans toute cette étendue de pays, la chaîne des Apennins borde la côte, et c’est contre les flancs escarpés de ces monts qu’on a pratiqué une route qui est appelée la Corniche, parce qu’en effet elle n’est le plus souvent qu’une étroite chaussée taillée dans le roc, ou construite en terrasse au-dessus d’escarpements abrupts dont la base va se perdre sous les flots. De cette route on domine constamment la vaste mer, où tantôt un brick croise à l’horizon, tantôt une barque de pêcheur rase la rive ; et ce n’est pas sans éprouver quelque chose du plaisir dont parle Lucrèce,

Suave mari magno, turbantibus æquora ventis
Magnum alterius e terra spectare laborem,


que l’on voit, sinon les navires ballottés sur les flots, du moins ces flots eux-mêmes venir se briser follement contre la base des rochers au-dessus desquels on chemine plein d’aise et de sécurité. Néanmoins, et malgré le vœu que nous en formions constamment, point d’ouragan, point de tempête n’est venue, pendant nos quatre jours de marche, obscurcir ce beau ciel et troubler la sérénité du golfe. C’est grand dommage, car nulle part mieux que sur la Corniche on ne serait mieux placé pour jouir du spectacle sublime de la mer soulevée.

Cette côte peu peuplée offre d’ailleurs quelque chose d’original et de symétrique à la fois. Tandis que les contre-forts des Apennins, stériles et inhabités, s’avancent les uns après les autres dans la mer, de l’un à l’autre, et dans le creux fleuri qu’ils laissent entre eux, s’espace un vallon cultivé qui aboutit à la grève. Un torrent desséché occupe le fond de ce vallon, et une ville d’une seule rue le ferme du côté de la mer. La route donc, en tournant les contre-forts, se replie, s’élève, traverse d’abord les bois d’oliviers, puis des solitudes rocheuses ; mais bientôt après avoir contourné l’escarpement sauvage, elle fléchit pour redescendre, et alors apparaissent les arbres, les prairies, le bourg scintillant et les barques sur le rivage. Ainsi un contraste sans cesse renaissant rend la marche