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ils vous présentent une carte à payer. Ohé ! c’est cher ! et jamais aubergiste piémontais, jamais hôtesse lombarde ne nous écorcha de la sorte.

À Saint-Laurent du Var, nous payons sous trois formes. C’est d’abord quinze nouveaux francs pour notre même passe-port. Cette plaisanterie fiscale, si promptement renouvelée, nous fait l’impression d’une très-brutale récidive ; aussi, n’étaient messieurs les gendarmes, nous essayerions en vérité de défendre nos deniers contre messieurs les employés, dont trois ou quatre sont étiques et les autres portent des lunettes.

C’est ensuite seize francs pour quelques petites boîtes de bonbons de Gênes, que quelques-uns de nous ont achetées pour les offrir à leurs parents. À quelques jours d’ici, aux Marches, quand nous voudrons passer ces boîtes de France en Savoie, l’on nous dira : Vous avez là, messieurs, des articles qui payent des droits, mais nous voyons assez que vous n’êtes pas des marchands. Ce sont, n’est-ce pas, de petits présents ?… C’est bon, passez. Voilà qui est parler ! et vive le roi de Sardaigne, qui n’a pas changé, comme son collègue le roi de France, nos confitures en déconfiture. Seize francs ! Fi ! les boîtes n’en ont pas coûté douze.

C’est ensuite quinze francs pour que la voiture puisse entrer sur le sol français. « Je vous dis, leur crie le cocher, que la voiture est au monsieur. — Eh bien, allez le chercher. » En ce moment arrive le monsieur en personne, à qui le cocher n’épargne pas des clignements significatifs : « Déclarez-vous, monsieur, lui dit le chef, que cette voiture vous appartient ? — Oui, répond le cocher. — Non, » répond M. Töpffer. Les quinze francs sont comptés, et c’est bien le cas de dire : Tout est perdu fors l’honneur.

Pendant que ces choses se passent, on toise nos pauvres chevaux, on dresse leur signalement, on leur fait acheter un passe-port privé, et dans la crainte qu’ils n’aillent être vendus ou échangés en France (notre cocher s’échangerait plutôt lui-même), on exige le dépôt de cent et dix francs qui seront rendus au bureau de sortie, si nos chevaux ne viennent pas à périr, si l’on n’est pas forcé d’en remplacer un, si le cocher ne perd pas son reçu, si le signalement est exact et si le bureau de sortie n’a pas la berlue.

Enfin, chose infâme, l’on nous palpe dans une dernière et abjecte baraque. Il y a des gens tellement civilisés, qu’ils trouvent cela assez naturel : « Après tout, disent-ils, c’est une formalité, et, des formalités, qui s’en formaliserait ? » Il y en a d’autres qui trouvent cette pratique