Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/548

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tons ces paroles… Bientôt tout est prêt ; et, servis par les deux jeunes demoiselles, nous absorbons avec un inénarrable plaisir tout ce qui se présente. La soupe au poisson, traitée par le père Lyons, est de toutes les soupes la plus savoureuse et la plus appétissante.

C’est cruel, lecteur, n’est-ce pas, d’insister ainsi devant vous sur le vif agrément de ces banquets sans pareils, où tout s’est rencontré de ce qui rend un régal exquis, brillant, parfait ? C’est de goût médiocre aussi, n’est-ce pas, de vous entretenir si souvent et avec un si visible contentement de ces détails de cuisine et de gastronomie ?… Mais qu’y puis-je faire ? Passer outre sans chanter mon hymne à ces souvenirs si fleuris, et qui comptent, sinon parmi les plus pratiques, du moins parmi les plus joyeux du temps passé, m’est impossible, et j’aime mieux encore faire quelque brèche au bon goût que d’aller manquer de gratitude envers cette bicoque ignorée, envers ces bonnes gens de la famille Lyons, envers cette table proprette et chargée de mets, autour de laquelle, préparés par l’abstinence, secondés par la fortune et comblés par la cordialité, nous fîmes une chère si merveilleuse. Mais il y a plus, je voudrais vous inspirer l’envie de connaître par vous-même la charmante allégresse de ces festins de hasard dont la faim est l’assaisonnement, et que transforment si promptement en une véritable fête, le contraste, la nouveauté, l’imprévu des ressources et aussi la bonne grâce des hôtes. Toutefois n’allez pas, prenant mes tableaux pour des indications, et notre plaisir pour les arrhes du vôtre, chercher à Castellane ce qu’il nous est arrivé d’y rencontrer, car, en ces choses d’accident, on ne peut rien faire renaître ; et qui sait d’ailleurs si, à cette heure, le père Lyons vit encore, ou si, toujours demoiselles et gracieusement accortes, ses deux filles seraient les pourvoyeuses de votre chère et les servantes de votre banquet ? Mais lancez-vous dans le genre de vie qui comporte presque inévitablement ces aubaines fortunées ; allez, marchez devant vous au travers des contrées, au-devant des bonnes gens ; et le contraste, et la nouveauté, et l’imprévu, et la faim surtout changeront, pour vous comme pour nous, en incomparable trésor la trouvaille inespérée de quelques modiques provisions. Puis, quand viendra l’âge de garder le logis, visité alors par ces souvenirs, comme nous encore, vous redirez, non pas sans mélancolie, mais avec un reconnaissant essor du cœur : Que de joies pourtant j’ai goûtées ! et en fait de bons gros plaisirs, à la fois vifs et sains, qui donc pourrait m’en signaler que je n’aie pas cueillis et savourés !

D’ailleurs, lecteur, ces plaisirs, quand même ils ont pour occasion des