Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/187

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rangs… Au lieu de rester à leur place pour l’améliorer, ils la foulent avec dépit, honteux d’y être, impatients d’en envahir une autre, envieux de s’y pavaner à leur tour. Niais, hommes sans cœur, que meut par ses filets grêles, mais innombrables, la plus mesquine des passions, la vanité !




Le bourgeon est donc, à tout prendre, un triste conseiller, un pitoyable maître ; et, s’il n’est possible de l’extirper jusqu’à la racine, au moins est-ce l’office de l’homme de sens que de le refouler sans cesse, et d’en arrêter les pousses à mesure qu’il les voit poindre.

Depuis vingt ans que je m’emploie à cette œuvre, j’ai, je m’imagine, arrêté quelques jets, refoulé quelques pousses ; mais dirai-je que j’ai réduit à rien mon bourgeon ? Ce serait mentir. Je le sens là, moins vorace peut-être, mais d’honnête grosseur encore, prêt, au moindre signe, à s’étendre en jets luxuriants, à étouffer tous les bons germes auxquels, en le réduisant, j’ai donné place. Chose singulière ! au delà de certaines limites, l’effort tourne contre vous : ne voulant extirper le bourgeon, c’est un bourgeon que vous reformez à côté ; vous dites : Je puis me flatter que je n’ai plus de vanité, et ceci même est une vanité. Aussi, ne pouvant tout faire, j’ai pourvu au plus pressé. Je lui laisse pour amusette mes tableaux, mes livres, en lui interdisant toutefois les préfaces, bien qu’il m’en conseille à chaque fois ; mais il est de plus sérieuses choses que j’ai mises à l’abri de ses atteintes.

Ce sont mes amitiés d’abord. Je veux qu’il n’y ait rien à voir. Je veux que le lien en reste libre, mais fort : je veux que la source en soit profonde, toujours fraîche