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se retira. Tous trois nous l’accompagnâmes, pénétrés de ce vif sentiment de respect et d’affection qu’impose la vieillesse aimable, et auquel se mêle une mélancolique pensée.

Quand mon oncle se fut éloigné, nous nous assîmes. Lucy parlait de lui ; elle voulait lui trouver des traits de ressemblance avec son père, surtout dans cette sereine gaieté, dans cette politesse si vraie, sous des formes un peu antiques ou familières ; et souvent elle s’arrêtait après ces remarques, comme attristée par l’idée de la perte que me réservait un prochain avenir. Puis, changeant d’objet : — Monsieur Jules, me dit-elle, non sans qu’un souffle de rougeur colorât ses joues, nous avons apporté avec nous ce portrait de mon père que vous connaissez… Notre désir serait d’en avoir deux copies. J’espère que vous voudrez me faire le plaisir de vous charger de ce travail. Votre talent nous est une garantie qu’il répondra à notre attente, quand déjà le souvenir que vous avez conservé de mon père bien-aimé est un motif qui me touche plus encore.




Que l’on juge de ma joie ! Il me fallut en contenir l’expression ; mais Lucy et son époux purent, au travers de mon embarras et de ma confusion, en mesurer toute la vivacité. Ce qui l’augmentait encore, c’est le sentiment que j’avais qu’un pareil travail n’était pas au-dessus de ma portée. Le jour même j’allai prendre le portrait ; et, m’étant mis à l’œuvre, je me vis cette fois bien décidément lancé dans la carrière des beaux-arts.

En d’autres circonstances, ce portrait m’eût inspiré