Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/259

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où j’avais rencontré inopinément de si vives émotions.

Elle ne répondit à mes paroles que quelques mots, d’après lesquels je compris qu’elle attendait sa mère pour se retirer, et qu’un embarras bien naturel la forçait à rester plutôt que de se retirer seule, ou à la merci de quelqu’un des hommes qui étaient autour d’elle. Cependant elle paraissait de plus en plus transie, et déjà ses voisins s’apercevaient que ses mains affaiblies ne pouvaient plus suffire à l’activité de la chaîne. L’un d’eux, le même homme qui m’avait interpellé en m’appelant les gants blancs, lui dit : — Pauvre petite, laissez-nous faire ; allez vous réchauffer chez vous. Voulez-vous que je vous y conduise ? Qui prend ma place ? — Prenez la mienne ! m’écriai-je, je l’emmènerai. — Avec plaisir, monsieur les gants blancs. Bon voyage ! et à nous les affaires. Attention, les troupiers ! Un temps, deux mouvements ! Depuis qu’il en boit, le drôle devrait n’avoir plus soif. Bravo ! mère Babi, à vous la croix d’honneur ! Si le diable crève, c’est vous qui l’aurez gonflé. Une prise, et en route !

Pendant que les éclats de rire accompagnaient les gais propos de ce brave homme, j’avais saisi la main glacée de la jeune enfant, et je m’éloignais de la chaîne vers les rues obscures où ne pénétrait plus la lueur de l’incendie. J’étais si rempli d’un trouble délicieux, en me voyant devenu le seul protecteur de cette aimable fille, que j’oubliais entièrement de m’enquérir auprès d’elle du lieu de sa demeure, où pourtant je voulais la conduire. Pour elle, elle marchait précipitamment ; puis, ralentissant peu à peu le pas, elle finit par s’arrêter comme oppressée. Je ne sus point distinguer si c’était l’effet de l’émotion, ou d’un malaise causé par le froid ; mais, l’ayant soutenue de l’un de mes bras,