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jours la bride, broutait aux touffes d’herbe qui forment la lisière du chemin.

Il y a des moments où la contemplation est de rigueur, sans en être pour cela plus facile. Il s’agissait d’admirer, nous ne nous étions assis que pour cela ; mais si ma compagne, peu faite aux mœurs pastorales, éprouvait quelque embarras de se trouver ainsi seule avec moi, j’étais de mon côté trop préoccupé par sa présence pour qu’il me fût aisé de parler éloquemment des montagnes. J’essayai toutefois ; mais, après quelques lieux communs dont la niaiserie m’importunait moi-même, je rebroussai comme je pus vers un sujet bien autrement à l’ordre du jour que la splendeur matinale. — Vous remarquez, mademoiselle, lui dis-je, qu’ici la route se bifurque ; oserai-je vous demander si vos parents se sont décidés pour la Tête-Noire ou pour le Col de Balme ?… — Je l’ignore, monsieur, me répondit-elle. Puis, se tournant de l’autre côté pour me dérober la vue de sa rougeur : — Je crois que ce sont eux que l’on aperçoit là-bas…

Effectivement le reste de la caravane, que nous avions laissé en arrière, nous rejoignait insensiblement. Je remarquai que le père et la mère de ma jeune compagne avaient à leur tour pris les devants sur les autres voyageurs, et que, sans nous voir encore, ils pressaient le pas de leurs mulets. Quand ils nous eurent atteints : — Ah ça ! mesdames, dit le père, c’est le moment de nous décider. Puis, se tournant vers moi : — Et vous, monsieur, par où passez-vous ?

Cette insidieuse question ne me surprit pas autant qu’elle me contraria. J’avais dit imprudemment à ce monsieur, la veille déjà, que mon projet était de passer par la Tête-Noire, et j’avais cru procéder habilement ;