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à l’indulgence, au bonheur, à une cordialité expansive qui en chasse tout sentiment rancunier. Déjà M. et madame Desalle semblaient ne se souvenir ni de la grotte, ni d’autres contrariétés plus anciennes ; et moi-même, reconnaissant de l’accueil amical qu’ils me faisaient, j’évitais de leur donner de l’ombrage en me montrant trop empressé auprès de leur fille. Pour celle-ci, revenue de son trouble, mais intérieurement agitée, elle s’efforçait de cacher ses préoccupations sous un air d’enjouement, tandis que mon nouvel ami, le Français, ayant remis en poche sa batterie de cuisine, s’occupait avec les guides des préparatifs du départ.

Au moment où nous partîmes, le soleil venait de reparaître à l’horizon, et le dais de grises nuées qui avait plané jusqu’alors sur nos têtes, empourpré tout à coup par les feux du couchant, s’était changé en un dôme d’une sublime splendeur. Insensiblement cet éclat s’effaça, les pâles feux des étoiles brillèrent çà et là dans le ciel, et la nuit nous surprit au milieu de la descente. Il ne pouvait plus être question de pousser jusqu’à Martigny, et, d’un autre côté, coucher à Trient semblait un parti désespéré. Les guides eux-mêmes ne nous y engageaient pas. « Rien pour coucher, disaient-ils ; et pour vivres, des œufs… — Des œufs ? interrompit le Français ; écoutez, je me charge du souper (il réfléchit un instant)…. et de la couchée ! ajouta-t-il ; j’ai des lits pour ces dames. Mais il faut que je prenne les devants ; ainsi, bon voyage, et au revoir ! » Nous voulûmes le retenir, le remercier du moins ; mais il était déjà hors de vue. Au bout d’une heure et demie, nous sortîmes du bois de Magnin. À la vive lumière qui brillait aux fenêtres d’une maison, nous reconnûmes de loin les cabanes de Trient, et nous jugeâmes que notre com-