Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/381

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par le feu d’un sentiment vif et passionné. D’ailleurs, habitué à voir dans cet enfant un ami avant d’y avoir vu un bossu, l’idée grotesque de sa pauvre personne enfourchée sur un noble coursier ne se présentait point à ma pensée pour y ternir l’éclat de ces brillants tableaux. Bien loin donc de sourire, j’écoutais avidement ; puis, dominé bientôt par cet ascendant qu’exerce un caractère fort et ardent, je devenais le soldat de mon généralissime, et, après avoir exécuté sous ses ordres d’habiles manœuvres, nous reprenions le chemin de la ville, tantôt marquant, tantôt accélérant le pas, au son des fifres, de la musique et des tambours. Candeur charmante du premier âge ! aimables enfants dont les cœurs ingénus s’aiment et s’unissent malgré la laideur corporelle, en dépit des témoignages du regard ; dont les jeux ne sont point troublés encore par les hontes et les poisons du ridicule !

J’ai toujours vu dans les dispositions de cet enfant comme une éclatante preuve de cette différence que l’on dit exister entre les deux substances dont se compose notre être. Quoi ! ce corps grêle et difforme… et au dedans cette âme chevaleresque, s’enivrant de l’ombre même de la gloire et du triomphe ! ce malheureux que sa stature appelle à s’effacer, à se taire, à refouler tout essor de sentiment, d’enthousiasme, de passion… et cette âme, belle autant que les plus belles, tout avide d’émotions, de fiers transports, d’éclatants dévouements ! n’est-ce pas l’image frappante d’un assemblage forcé de deux natures sans rapport entre elles, d’une terrestre et grossière enveloppe qui retient captive une pure essence ?

Au surplus, il n’est pas besoin de recourir aux bossus pour recueillir des enseignements tout pareils. Regar-