Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/419

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Aussi, faisant un effort extrême pour résister aux sollicitations affectueuses du père, du frère, et aux timides mais instantes prières de leur compagne, je me séparai d’eux après les avoir remerciés de leur accueil. Quelques instants après ils partirent. Je demeurai à Aoste, éprouvant au milieu de cette foule un vif sentiment de solitude, et le cœur tout rempli d’une mélancolie que j’allai nourrir à cette même place où nous nous étions assis le matin sous les chênes.

Le lendemain et les jours suivants, je continuai d’être en proie à une préoccupation qui me laissait peu de curiosité pour observer les contrées ou les villes que j’étais venu visiter. À Ivrée, où je passai de grand matin, il fallut de nouveau me faire violence pour ne pas m’y arrêter au moins quelques heures. Les rues étaient désertes, l’air froid, la Doire à peine blanchie par les premières lueurs de l’aube, et néanmoins il me semblait que cette contrée fût la plus charmante de l’Italie, et cette ville la seule où j’aurais aimé fixer mes jours. Je voulus la traverser à pied. En passant, je vis plusieurs hôtels, et devant chacun je m’arrêtais, incertain s’il était la demeure de la jeune fille, probablement endormie à cette heure, peut-être aussi rêvant tout éveillée à ses émotions de la veille, et à ce jeune homme qui en avait été sinon l’objet, du moins l’occasion. Comme je m’oubliais dans ces haltes successives, le cocher de ma carriole, à qui j’avais commandé de m’attendre au sortir de la ville, revint sur ses pas pour m’appeler. Je le suivis, la carriole roula, et, au moment où le pavé de la dernière rue cessa de retentir sous la fuite des roues, j’éprouvai une inexprimable tristesse. Toutefois, avec le cours des semaines, cette préoccupation s’effaça insensiblement, et bientôt le vif sentiment que j’empor-