Aller au contenu

Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/437

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

J’étais ridicule, et pourtant bien à plaindre. Sans doute ma passion était sans but, sans espoir, même à mes propres yeux ; mais, tout innocente et précoce qu’elle fût, elle était pure, sincère, pleine de fraîcheur et de séve, et depuis quelque temps elle formait ma vie. Je savais bien qu’il me fallait quitter le collége avant de songer au mariage, aussi je n’y songeais point, mais qu’un autre épousât celle à qui j’avais avec délices consacré mon servage, c’était bien pour lors le plus fatal événement qui pût détruire ma félicité.

En proie au regret, au dépit, et à d’autres passions jalouses et colères, je n’avais remarqué ni l’heure avancée, ni la direction que prenaient mes pas vers des lieux qu’en d’autres temps je n’eusse point choisis pour une promenade nocturne ; mais je fus ramené à moi-même, comme par un coup de foudre, lorsque, l’horloge s’étant mise à sonner, je crus avoir compté douze coups… Les portes de la ville m’étaient fermées depuis une heure.

J’espérais m’être trompé, et je courais déjà de toute ma force, lorsque la cloche lointaine d’un village se fit entendre ; je comptai avec une horrible anxiété neuf, dix, onze coups… le douzième vint m’achever. Rien n’est inexorable comme une horloge.




J’avoue qu’en cet instant j’oubliai mes amours ; mais ce ne fut point pour retrouver le repos, car la pensée de l’angoisse où allait être plongée ma famille vint me livrer au plus affreux tourment. Ils me croiraient perdu, mort, et, dans ma simplicité, j’allais jusqu’à craindre qu’ils ne liassent ma disparition au récit qu’on me manquerait pas de leur faire, chez nos voisins, de