j’inventais des expédients pour dérober mon esprit aux visions, en le fixant sur quelque chose. Je me donnai la tâche de compter jusqu’à cent, jusqu’à deux cents, jusqu’à mille ; mais mes lèvres seules se chargeaient de la besogne, et mon esprit les laissait faire.
J’en étais au nombre deux cent quatre-vingt-dix-neuf, lorsque j’entendis, à deux pas de moi, un frémissement dans le feuillage ; je précipitai mon compte avec plus de vitesse encore, afin de dépasser le plus promptement possible certaines idées de couleuvres froides et de crapauds à yeux fixes, vers lesquelles mon esprit inclinait évidemment. Mon émotion ne fit qu’en redoubler, et ce frémissement ne tarda pas à revêtir des figures si étranges, si fâcheuses, qu’à la fin il me devint avantageux de rebrousser, même vers les couleuvres. « Après tout, me disais-je, les couleuvres n’ont rien de si abominable ; elles sont innocentes, les couleuvres, et surtout (oh ! que cette idée me vint à propos !) si ce n’est qu’un lézard. » Ici le frémissement se fit entendre de nouveau et de plus près ; je me crus happé, avalé, broyé, en sorte que, m’étant levé en sursaut, je franchis la haie, si épouvanté du bruit et du mouvement que je faisais, que je sentais à peine la pointe des épines qui déchiraient ma peau.
Quand je fus de l’autre côté, j’éprouvai un grand soulagement. Je me trouvai au milieu des laitues, des choux, des rigoles ; toutes choses qui, en me rappelant le travail de l’homme, diminuaient d’autant le sentiment de ma solitude. Je me souviens que j’essayai de