Page:Touchatout - Le Trombinoscope, Volume 4, 1875.djvu/69

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crois que c’est bien simple : ils prennent des épinards ordinaires, ils les font cuire ordinairement, et ils les appellent : épinards à la Roustabrankoff. — On voit, par ces exemples, que débutant à peine dans le métier, Brébant en avait déjà compris toute la philosophie. — Après avoir passé brillamment ses examens, le jeune triomphateur prit la direction d’un restaurant de bon ordre, dans la rue Neuve-Saint-Eustache. Il était en plein quartier du commerce, c’est-à-dire dans un milieu riche. Il y fit naturellement d’excellentes affaires ; mais cette clientèle de gros mastocs qui se farcissent de bonnes choses sans les comprendre, ne tarda pas à dégoûter profondément l’illustre restaurateur dont les aspirations artistiques s’étaient développées. Aussi, après avoir, en quelques années, conduit à l’obésité bête presque tous les notables du quartier Cléry, il vendit son fonds et vint prendre la direction du restaurant déjà célèbre qui fait le coin du boulevard et du faubourg Montmartre. — C’est à partir de ce moment que la réputation de Brébant commença. Placée en plein centre du Paris intellectuel, la maison Brébant fut bientôt hantée par tout un monde de publicistes, d’artistes, d’écrivains et d’auteurs dramatiques. — Ce que voyant, la cohue malsaine des reporters de journaux indécents vint vite s’abattre dans le milieu, afin de tâcher de se faire prendre pour des journalistes. On ne put éviter cela : Il y a de très-beaux appartements qui sont infestés de punaises. — En très-peu de temps Brébant fut sacré par la notoriété publique : restaurateur des lettres. Aussi, pas une fête littéraire où sa place ne soit marquée. Il assiste à toutes les premières représentations, a son fauteuil à l’année au grand Opéra, et promène, de théâtre en théâtre, comme une réclame vivante, un abdomen décemment majestueux qui fait honneur à ses fourneaux. La cave de Brébant a acquis un vrai renom. Il abhorre les falsifications et possède une connaissance approfondie des différents crus. — C’est lui qui, un jour, répondit à un négociant qui lui avait fait une fourniture douteuse, une lettre commençant ainsi : « Monsieur, j’ai reçu hier votre honoré envoi du 15 du courant, et je regrette de vous le laisser pour compte ; mais je n’ai pas chez moi le débouché de ces vins feints, etc., etc.» — L’expéditeur se le tint pour dit et reprit ses vingt-cinq barriques de teinture. — Quand on passe le matin devant l’établissement de M. Brébant, on est attristé par un spectacle étrange. Une queue d’hommes en guenilles longe la devanture et défile devant une énorme marmite de soupe placée sur le trottoir, et dans laquelle puisent, à l’aide de grandes pelles, deux garçons de cuisine qui donnent à chacun de ces malheureux une écuelle de cette pâtée philanthropique. Loin de nous la pensée que M. Brébant donne ainsi sa charité en spectacle dans le but de transformer les restes de repas — qui lui ont été payés — en bouillabaisse-réclame de haute pression. Nous sommes, au contraire, bien persuadé qu’en cette circonstance M. Brébant obéit au sentiment de philanthropie le plus pur ;