Page:Toulet - Béhanzigue, 1921.djvu/142

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rue Royale — se prend de mots avec le plus blond des « Ah, ma chère ! » La fille a une belle et franche voix de rogomme, de ces voix qu’on entend par une nuit de carnavals en passant dans un corridor de restaurant, jaillir des derniers salons où l’on soupe. Lui, de son côté, s’écrie d’une voix murmurante : il s’évente avec son programme, il soupire, il est indigné. Le public assiste avec scepticisme à cet attrapage : il sent bien que ce n’est que ce qu’au théâtre on appelle un « scandale ». Encore celui-ci est-il assez mal réglé.

— Du chiqué, quoi, dit un employé de chemin de fer.

Ce public de samedi (et quelle idée, d’aller à Montmartre un samedi) entassé sous un plafond bas, il y a de tout là-dedans : des employés, des pierreuses, une actrice connue, un mathématicien, deux ou trois artistes. En moyenne, public assez bourgeois qui ne comprend pas très bien, qui a peur qu’on se moque de lui, et songe obscurément aux mystifications du Chat Noir, aux feintes injures de Bruand. Tout ça, pour lui, au fond, c’est de la littérature. Et ce n’est pas qu’il s’indigne, au moins ; mais il s’ennuie. On lui a promis des horreurs, et il glisse sur des ordures.

Là-dessus entre, avec une jolie fille, un vieux Monsieur « bien parisien »,

— Bonjour, mon oncle, lui crie Lœtitia.

— Hélas, répond le vieillard, je ne suis plus pour neveux…

Et, tout en incrustant sa compagne entre un sous-off en uniforme et une blonde poissonneuse, il branle sa tête chenue.