Page:Toulet - Béhanzigue, 1921.djvu/168

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tubéreuses, l’ayant enivrée un peu, il me fut doux de baiser ses lèvres sous l’épais feuillage d’un badamier. Et je l’embrassai aussi sous un flamboyant aux fleurs orangées : ce sont ceux que je préfère.

À la longue, ce jardin m’agace un peu, tant il est bien tenu. Et avec cela, tout plein d’écriteaux, qui interdisent chacun quelque chose, comme, par exemple, de molester les anguilles centenaires du bassin, qui sont, paraît-il, d’une grande naïveté, malgré leur âge. Ma petite amie, c’est à cause du sien qu’elle est naïve ; et, aucun écriteau ne me le défendant, je baise une troisième fois sa lèvre monmartraise et rouge.

C’est quelque chose de mettre une jolie fille d’accord avec le paysage. Autour de celle-ci, je voudrais voir, plutôt que ce jardin ratissé, la forêt vierge vert de gris, avec ses arbres morts tout blancs, ses troncs guillochés d’argent et ses fougères géantes en forme de chandeliers — ou bien encore la forêt française d’automne, où je cherchais des champignons, avec la petite Chose aux yeux de pervenche.

Il paraît que vous avez mal tourné, depuis, chère petite Chose. Mais bien ou mal, pour une femme, n’est-ce pas, l’important c’est de tourner.

Alger, 189..— Entendu hier, sous les arcades de Babazoun, vers six heures, un voyou qui criait à son compagnon : « L’argent, moi, je la reçois des femmes ! Tandis que toi… »

Tout cela avec un air de mépris, dont l’autre était visible ment affligé.