Page:Toulet - Mon Amie Nane, 1922.djvu/30

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

déchira la nuit : c’était comme la plainte d’un jeune cyclope en dentition — ou le cri de guerre de l’oiseau appelé rock quand il se précipite sur une foule d’éléphants. Nane se dressa :

— Tu entends ?

— Eh bien, c’est une sirène.

— C’est la Méduse, j’en suis sûre, cria-t-elle ; je la reconnais. Bélesbat va être ici à la minute. Va-t’en Jacques, je t’en prie, va-t’en.

Le jeune homme ne se laissa pas faire tout de suite : quelle imagination, maintenant, de reconnaître les yachts à la voix. Comme s’il n’y avait que la Méduse qui eût une sirène. Et d’aller croire que Bélesbat arrivât à cette heure-ci, sans s’annoncer, même, etc., etc.

— Tu veux donc me faire perdre ma situation, gémit Nane ; et Jacques, « bouclé », s’en fut.

Le surlendemain ce fut la même alerte, mais un peu plus tôt ; deux jours après pareillement, puis une autre fois encore, et enfin trois nuits de suite ; on eût dit que tous les bateaux de la Méditerranée s’étaient donné le mot pour n’entrer au port d’Alger qu’à la faveur de l’ombre, et Jacques, accablé sous la main de la Providence, abruti, docile, se levait sans