Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/111

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les cartes ou le billard, les soirées dansantes, les promenades à travers les villes de gouvernements et les capitales, les fabriques de papier, le sucre de betterave, les pavillons bariolés des parcs et des jardins, le thé, les gros cochers avec la ceinture à la hauteur de l’aisselle, ces magnifiques cochers, si estimés, dont les yeux, Dieu sait pourquoi, menacent de sortir de la tête à chaque mouvement de leur cou. « Quel gentilhomme russe est-ce donc là ? » me disais-je enfin. D’ailleurs, il ne semblait nullement mécontent de son sort ; on respirait au contraire autour de lui un air de bienveillance universelle, de cordialité ; il était homme à faire entrer dans son intimité le premier venu. Il est vrai qu’on s’apercevait en même temps qu’il était incapable de se lier d’amitié absolue avec qui que ce fût, non qu’il pût se passer du contact des autres hommes, mais parce que sa vie était pour un temps concentrée en lui. Cette analyse de Radilov ne me semblait ni attester pour le passé, ni préparer pour l’avenir à cet homme une vie heureuse. Il n’était pas, à proprement parler, beau ; mais ses yeux, ses manières faisaient deviner que des qualités très attrayantes étaient cachées en lui, et je dis à dessein cachées. Pour l’avoir vu une fois on devait désirer de