Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/108

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travail qu’à un salon. Du papier, des lettres, des revues russes, dont les pages n’étaient point coupées pour la plupart, traînaient sur les tables couvertes de poussière ; des bouts de cigarettes à demi consumées étaient épars de tous côtés. La maîtresse de la maison se tenait à demi couchée sur un divan de cuir ; elle était encore jeune, avait des cheveux blonds, un fichu de dentelles lui couvrait la tête et de gros bracelets ornaient ses mains aux doigts courts. Elle se leva, et, relevant négligemment sur ses épaules un mantelet de velours doublé d’hermine jaunie, elle dit d’une voix languissante à Sitnikof : « Bonjour, Victor, » et lui serra la main.

— Bazarof, Kirsanof, dit-il d’un ton brusque, en imitant la manière de Bazarof pour les présentations.

— Soyez les bienvenus, répondit madame Koukchine ; et, arrêtant sur Bazarof ses yeux ronds entre lesquels se dressait un pauvre petit nez rouge et retroussé, elle ajouta : « Je vous connais ; » et elle lui serra aussi la main.

Bazarof fit une légère grimace. L’insignifiante petite figure de la femme émancipée n’avait rien de trop laid ; mais l’expression de ses traits était désagréable. On lui eût volontiers demandé « Qu’est-ce qui t’arrive ? As-tu faim ? Éprouves-tu de l’ennui ? Aurais-tu peur de quelque chose ? Pourquoi tous ces efforts ? » Elle sentait aussi, comme Sitnikof, quelque chose qui lui grignotait l’âme continuellement. Ses mouvements et son langage étaient à la fois dégagés et maladroits ; elle se