Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/157

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— Vraiment ? Du reste, vous ne vous ennuierez pas longtemps.

— Qu’est-ce qui vous le fait supposer ?

— Vous m’avez dit vous-même que, pour vous ennuyer, il fallait que vos habitudes fussent dérangées. Votre existence est si parfaitement réglée, qu’elle ne peut laisser de place ni à l’ennui, ni au chagrin, ni à aucun sentiment pénible.

— Vous trouvez que je suis parfaitement… ou du moins que mon existence est ordonnée avec une grande régularité ?

— Sans doute ! Tenez ; dix heures vont sonner dans quelques minutes, et je sais d’avance que vous allez me chasser.

— Non, je ne vous chasserai pas. Vous pouvez rester. Ouvrez cette fenêtre… ; je trouve qu’on étouffe ici.

Bazarof se leva et poussa la fenêtre. Celle-ci s’ouvrit subitement et avec bruit. Il ne s’attendait pas qu’elle s’ouvrît aussi facilement ; c’est que ses mains tremblaient. La nuit molle et tiède apparut, avec son ciel presque noir, accompagnée du faible murmure des arbres et de la saine odeur d’un air libre et pur.

— Baissez le store et asseyez-vous, continua madame Odintsof ; je voudrais causer avec vous avant votre départ. Racontez-moi quelque chose de vous-même ; vous ne parlez jamais de vous.

— Je tâche de causer avec vous de choses utiles.

— Vous êtes modeste… cependant, j’aurais voulu