Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/203

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je… que j’idolâtre mon fils ! Je ne parle pas de ma pauvre femme, c’est une mère, et elle en a les sentiments. Mais moi, je n’ose pas exprimer à mon fils combien je l’aime, cela lui déplairait. Il ne peut pas supporter les effusions de ce genre ; bien des gens lui reprochent même cette fermeté de caractère, et l’attribuent à un sentiment de fierté ou à de l’insensibilité ; mais les hommes comme lui ne doivent pas être mesurés à la même aune que le commun des mortels, n’est-il pas vrai ? Tenez, par exemple, un autre à sa place aurait fait de continuelles saignées à la bourse paternelle. Eh bien, lui, il ne nous a jamais demandé un kopek de trop, je peux vous l’assurer.

— C’est un homme désintéressé, intègre, dit Arcade.

— Comme vous le dites, monsieur, un modèle de désintéressement. Quant à moi, Arcade Nikolaïtch, je ne me contente pas de l’idolâtrer, j’en suis fier, et ce qui flatte le plus mon orgueil, c’est de penser qu’on lira un jour dans sa biographie les lignes suivantes : « Fils d’un simple aide-major de régiment, qui sut pourtant le deviner de bonne heure, et ne négligea rien pour son instruction… » La voix du vieillard s’éteignit.

Arcade lui pressa la main.

— Qu’en pensez-vous ? demanda Vassili Ivanovitch, après un moment de silence ; ce n’est pas dans la carrière médicale qu’il arrivera à la célébrité que vous lui prédisez ?