Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/272

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saient l’un et l’autre ; il tenait à la main un livre entr’ouvert ; elle rassemblait des miettes de pain blanc restées au fond de sa corbeille, et les jetait à une petite famille de moineaux qui venaient, avec la hardiesse peureuse qui les caractérise, sautiller en piaillant jusque sous ses pieds. Un vent léger qui se jouait au milieu du feuillage de l’arbre faisait doucement avancer et reculer tour à tour sur l’allée et sur le dos jaune de Fifi des taches d’une lumière dorée ; une ombre uniforme enveloppait Arcade et Katia ; à de rares intervalles seulement un point lumineux, vif comme une flamme, apparaissait soudain sur les cheveux de la jeune fille. Tous deux se taisaient ; mais la façon dont ils se taisaient, assis l’un près, de l’autre, révélait un accord complet ; chacun d’eux semblait ne faire aucune attention à l’autre, tout en se réjouissant d’être à côté de lui. Leurs traits même avaient changé depuis que nous les avons quittés ; Arcade paraissait plus calme, Katia plus animée, plus hardie.

— Ne trouvez-vous pas, dit Arcade, que le frêne[1] est bien nommé en russe ; je ne connais point d’arbres dont le feuillage ait autant de transparence et de légèreté.

Katia leva lentement les yeux et répondit :

— Oui.

Et Arcade se dit : Celle-là du moins ne me reproche pas de m’exprimer poétiquement.

  1. Iassen, le nom de cet arbre, en russe, ressemble à ïassni, clair, transparent.