Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/305

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Hélas ! le jeune homme plein d’assurance qui venait de s’éloigner en levant dédaigneusement les épaules, ce Bazarof qui savait si bien parler aux paysans, comme il s’en était vanté dans sa discussion avec Paul Petrovitch, ne soupçonnait même pas que ceux-ci le considéraient comme une sorte de bouffon…

Au reste, il finit par se trouver une occupation. Un jour Vassili Ivanovitch pansait en sa présence la jambe blessée d’un paysan ; les mains du vieillard tremblaient et il éprouvait quelque difficulté à serrer les bandages ; Bazarof vint à son aide. À partir de ce moment il continua à assister son père dans sa tâche de docteur, sans cesser pour cela de plaisanter sur les remèdes qu’il conseillait lui-même, sur l’empressement avec lequel son père les mettait en pratique. Mais ces plaisanteries ne déconcertaient nullement Vassili Ivanovitch, il les trouvait au contraire fort à son goût. C’était avec un véritable bonheur qu’il écoutait Bazarof, tout en fumant sa pipe et en retenant avec deux doigts les pans de sa vieille robe de chambre, et plus les paroles de son fils étaient venimeuses, plus l’heureux père riait de bon cœur, en montrant toutes ses dents noirâtres. Il allait jusqu’à répéter les sorties quelquefois dénuées de sel ou n’ayant aucun sens que faisait son fils : ainsi, par exemple, il répéta à tout propos plusieurs jours durant : « Ceci c’est pour le dessert ! » uniquement parce que son fils, ayant appris qu’il s’était rendu à matines, avait employé cette expression. — Dieu merci ! dit-il confidentiellement à sa femme ;