Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/326

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trouvait placé entre Katia et Fénitchka ; les nouveaux époux étaient assis près de leurs femmes. Nos anciens amis avaient un peu changé dans ces derniers temps ; ils étaient embellis ou du moins engraissés ; Paul Pétrovitch lui seul avait maigri, mais cela ajoutait encore à la distinction de ses traits… Fénitchka n’était pas la même non plus. En robe de soie noire, un large nœud de velours dans les cheveux, une chaîne d’or au cou, elle se tenait assise dans une respectueuse immobilité, non moins respectueuse pour elle-même que pour tout ce dont elle était entourée, et elle souriait comme si elle eût voulu dire : « Excusez-moi, je n’y suis pour rien. » Au reste, tous les autres convives avaient le sourire sur la bouche, et semblaient aussi demander pardon ; tous se sentaient un peu embarrassés, un peu tristes, et pourtant parfaitement heureux. Chacun avait pour son voisin des prévenances plaisantes ; on semblait s’être donné le mot pour jouer je ne sais quelle comédie pleine de bonhomie. Katia était la plus tranquille de tous : elle regardait autour d’elle avec confiance, et il était facile de voir que Kirsanof l’aimait déjà à la folie. Il se leva avant la fin du dîner, un verre de vin de Champagne à la main, et se tournant vers Paul Pétrovitch :

— Tu nous quittes… tu nous quittes, mon cher frère, lui dit-il ; pour peu de temps, je l’espère, mais je ne puis pourtant pas résister au désir de t’exprimer ce que… je… ce que nous… combien je… combien nous… Le malheur est que nous autres Russes nous ne savons pas faire de speech ! Arcade, parle à ma place.