Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/329

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gonflé d’importance que jamais ; cela ne l’a pas empêché de faire un mariage assez avantageux ; il a épousé la fille d’un jardinier de la ville, qui l’a préféré à deux autres promis, parce que ceux-ci n’avaient point de montre, tandis que lui possédait non-seulement une montre, mais même des bottines vernies !

On peut rencontrer à Dresde, sur la terrasse de Brühl, entre deux et trois heures, temps le plus fashionable pour la promenade, un homme d’une cinquantaine d’années, aux cheveux tout blancs et qui paraît souffrir de la goutte, mais encore beau, à la mise élégante, et ayant ce cachet particulier que donne l’habitude du grand monde. Ce promeneur n’est autre que Paul Pétrovitch Kirsanof. Il a quitté Moscou par raison de santé ; il s’est fixé à Dresde, où il fréquente surtout les Anglais et les voyageurs russes. Avec les premiers, ses manières sont simples, presque modestes, quoique toujours dignes ; ils le trouvent un peu ennuyeux, mais le considèrent comme un parfait gentilhomme, « a perfect gentleman. » Plus à son aise avec les Russes, il donne pleine liberté à son humeur bilieuse, se persifle lui-même et ne ménage point les autres ; mais il fait tout cela avec un aimable laisser aller et sans jamais manquer aux convenances. Il professe d’ailleurs les opinions des Slavophiles, et chacun sait que dans la haute société russe cette manière de voir passe pour très-distinguée. Il ne lit aucun livre russe ; mais on remarque sur son bureau un