Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/41

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il leva son couteau dont l’extrémité portait un morceau de beurre, et resta immobile.

— C’est un nihiliste, répéta Arcade.

— Un nihiliste, dit Kirsanof. Ce mot doit venir du latin nihil, rien, autant que je puis juger, et par conséquent il signifie un homme qui… qui ne veut rien reconnaître ?

— Ou plutôt qui ne respecte rien, dit Paul qui se remit à beurrer son pain.

— Un homme qui envisage toutes choses à un point de vue critique, reprit Arcade.

— Cela ne revient-il pas au même ? demanda son oncle.

— Non, pas du tout ; un nihiliste est un homme qui ne s’incline devant aucune autorité, qui n’accepte aucun principe, sans examen, quelque soit le crédit dont jouisse ce principe.

— Et tu trouves que c’est très-bien, ça ? reprit Paul.

— Cela dépend, mon oncle. Il y a des personnes, qui s’en trouvent bien, et d’autres, fort mal au contraire.

— En vérité ? allons ! je vois que nous ne nous entendrons jamais. Les gens du vieux temps, comme moi, pensent que des principes… (Paul prononçait ce mot avec une certaine douceur, à la française ; Arcade au contraire, l’accentuait durement) des principes admis sans examen, pour me servir de ton expression, sont absolument indispensables. Vous avez