Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/6

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Chaque génération trouve le portrait de l’autre fort ressemblant, mais crie que le sien est une caricature.

« Lynx envers nos pareils et taupes envers nous,»


nous ne reconnaissons que les photographies de nos voisins. Les pères ont réclamé, mais les enfants, encore plus susceptibles, ont jeté les hauts cris en se voyant personnifiés dans le positif Bazarof.

Vous savez, monsieur, que depuis longtemps la Russie emprunte à l’Occident ses modes et ses idées : ce sont des modes aussi, bien souvent. La France lui envoie des robes et des rubans, l’Allemagne est en possession de la fournir d’idées. Naguère on pensait à Saint-Pétersbourg d’après Hegel ; présentement, c’est Schopenhauer qui a la vogue. Les adeptes de Schopenhauer prêchent l’action, parlent beaucoup et ne font pas grand’chose, mais l’avenir, disent-ils, leur appartient. Ils ont leurs théories sociales qui effrayent fort les gens de l’ancien régime ; car pour un peu ils vous proposent de faire table rase de toutes les institutions existantes. Au fond, je ne les crois pas dangereux : d’abord parce qu’ils ne sont pas plus méchants que leurs pères, puis ils sont en général paresseux ; enfin, jusqu’à présent, le peuple, seul faiseur de révo-