Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/76

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On était au commencement de juin, le plus beau mois de l’année. Le temps était magnifique ; il est vrai que le choléra approchait, mais les habitants du gouvernement de X… ne le craignaient plus beaucoup. Bazarof se levait de grand matin, et se rendait à deux ou trois verstes de sa maison, non point pour se promener (il ne pouvait souffrir les promenades), mais pour ramasser des plantes et des insectes. Arcade l’accompagnait quelquefois. En revenant, il arrivait assez souvent aux deux amis de disputer, et Arcade était ordinairement vaincu quoiqu’il parlât beaucoup plus que son compagnon. Un jour qu’ils tardaient à revenir, Kirsanof alla au-devant d’eux dans le jardin ; arrivé prés du bosquet, il entendit les pas précipités et la voix des jeunes gens. Ils passaient de l’autre côté du bosquet et ne pouvaient le voir.

— Tu ne connais pas mon père, dit Arcade.

Kirsanof resta immobile.

— Ton père est un bon enfant, répondit Bazarof ; mais il n’est plus bon qu’à mettre sous la remise, il a pris sa retraite, il a fini sa chanson.

Kirsanof prêta l’oreille…, Arcade se taisait.

L’homme retraité resta encore quelques moments dans sa cachette ; puis il en sortit avec précaution et regagna le logis.

— L’autre jour je regarde ce qu’il fait ; il lisait Pouchkine, poursuivit Bazarof. Fais-lui comprendre, je t’en prie, que c’est absurde. Il n’est plus un jouvenceau, et devrait jeter aux orties tout ce fatras. Qui s’intéresse