Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/88

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médier à tout, et vous êtes nos sauveurs et nos héros. À merveille ! Mais pourquoi insultez-vous tant les autres, ceux que vous appelez les bavards ? Ne bavardez-vous pas comme eux ?

— Allons donc ! Si nous avons un reproche à nous faire, ce n’est pas celui-là, répondit Bazarof entre ses dents.

— Comment ? Est-ce que vous auriez la prétention d’agir, ou seulement de vous préparer à l’action ?

Bazarof resta silencieux. Paul tressaillit ; mais il se calma presque aussitôt.

— Hum !… agir, détruire, reprit-il ; mais comment peut-on détruire sans savoir même pourquoi on détruit ?

— Nous détruisons parce que nous sommes une force, dit gravement Arcade.

Paul jeta les yeux sur son neveu et sourit.

— Oui, la force n’a point de compte à rendre, ajouta Arcade en se redressant.

— Le malheureux ! s’écria Paul hors d’état de se contenir plus longtemps. Si tu voulais te rendre compte seulement de ce que tu soutiens en Russie avec ta ridicule sentence ! C’est vraiment par trop fort ; il faudrait avoir la patience d’un ange pour supporter tout cela ! La force ! le sauvage Kalmouk et le Mongol n’en manquent pas non plus ; mais à quoi peut-elle nous servir ? Ce qui doit nous être précieux, c’est la civilisation ; oui, oui, mes chers messieurs, les fruits de la civilisation. Et ne me dites pas que ces fruits sont insignifiants ; le dernier barbouilleur d’enseignes, le misé-