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PIERRE QUI ROULE

que les orangistes n’auraient pas la permission de parader en régalia dans les rues de Montréal. C’était une mesure de prudence d’autant plus nécessaire que, sans cette précaution, des ruisseaux de sang auraient inondé les rues de la ville.

« Les insultantes provocations de la presse anglaise avaient porté leurs fruits. Les esprits étaient surexcités au possible. La population franco-canadienne, d’ordinaire si paisible et si indifférente aux fanfaronnades des commémorateurs de la bataille de la Boyne, était prête à combattre à côté des Irlandais catholiques. La police régulière avait été renforcée de 800 constables spéciaux assermentés pour la circonstance et armés de manches de hache. L’un de ces derniers, membre de l’Union Catholique, me montrait un énorme revolver qu’il avait acheté pour la circonstance, et me disait qu’ayant communié le matin, il était prêt à vendre chèrement sa vie.

« Tout Montréal était sur pied. Les orangistes arrivés de tous les points d’Ontario, s’étaient rendus discrètement dans leur salle, rue Saint-Jacques, où ils devaient revêtir leur costume pour se mettre en procession. À quelque distance de là, sur la Place d’Armes, stationnaient des troupes, parmi lesquelles je reconnus mon ancien bataillon, le 53ème, venu de Sherbrooke pour la circonstance.

« Il y avait dans ses rangs quelques Canadiens-français assez embêtés de se trouver mêlés, en cette circonstance, à leurs camarades dont ils ne partageaient pas les sympathies orangistes. Il y avait même là un de mes frères. J’allai serrer la main aux officiers, tous d’anciens amis qui semblaient contents de me revoir et je n’eus pas de difficulté à obtenir du colonel Ibbotson un congé de quelques heures en faveur de mon frère, lorsque tout danger d’émeute eut disparu.