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PIERRE QUI ROULE

légitime. Je voulais bien qu’on exaltât le courage des Américains, alors occupés à s’entr’égorger à propos d’esclavage ; mais il me semblait qu’il seyait mal à des Canadiens, qui se piquaient de patriotisme, de déprécier la valeur de nos nationaux, à propos de milice.

« Cet enthousiasme ultra-yankee de la part de journalistes chargés de défendre la nationalité franco-canadienne me paraissait contre nature.

« Je n’aimais pas à entendre répéter sans cesse par un des nôtres que sous le rapport de l’instruction, de l’esprit d’initiative, du patriotisme et de l’intelligence des affaires, nos voisins nous étaient infiniment supérieurs. Sur la question de l’abolition de l’esclavage, j’étais d’accord avec le Pays. Mon patron, grand libéral devant le Seigneur, me faisait lire ce journal à haute et intelligible voix, ce qui explique peut-être comment il se fait qu’à l’âge de seize ans je me tenais passablement au courant de ce qui se passait dans le monde politique canadien.

« Le Pays m’apportait aussi des nouvelles du siège de la guerre, par suite de quoi il arriva qu’un beau jour je partis du Canada pour aller voir de plus près si ce que les journaux racontaient au sujet de la guerre était bien vrai.

« Pendant les dix-huit mois de service militaire que je fis, à partir de l’automne de 1863 jusqu’au printemps de 1865, j’étais à peu près le seul Canadien de mon régiment, et il me fut facile de constater de visu les mérites et les travers, les défauts et les qualités des gens que le Pays nous avait si souvent citées comme des modèles de perfection.

« Je ne tardai pas à constater qu’ils valaient autant que les autres et pas plus ; qu’à côté de brillantes qualités, que les étrangers ne tardent pas à acquérir lorsqu’ils vivent dans le milieu favorable à leur épanouis-