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PIERRE QUI ROULE

À East Cambridge, on faisait encore de la brique au sable, mais à Somerville on faisait de la brique à l’eau. La presque totalité des travailleurs était recrutée dans nos paroisses canadiennes, où les agents des briqueteries américaines embauchaient les fils de cultivateurs renommés pour leur aptitude aux rudes travaux. Ces jeunes gens partaient au printemps et revenaient à l’automne nantis d’une assez forte somme gagnée au prix d’un labeur excessif. Ils travaillaient d’une étoile à l’autre, c’est-à-dire tant que la lumière du jour le leur permettait, chaque équipe s’efforçant de surpasser les autres.

Les jambes nues et la poitrine recouverte d’un long tablier en caoutchouc, les porteurs de moules évoluaient dans la cour où l’on faisait de la brique à l’eau.

Le mouleur prenait, dans une auge remplie d’eau, un moule dans lequel il jetait avec force assez de glaise pour former six briques. L’un des porteurs prenait ce moule et courait le porter au bout du rang où les briques devaient sécher sur le sol nivelé, jusqu’à ce qu’on pût les faire durcir en les cordant en haies parallèles, assez éloignées les unes des autres pour donner accès au vent et à la lumière.

Il s’agissait de ne pas faire perdre de temps au mouleur et le porteur courait constamment. Pour verser les six briques nouvellement moulées il fallait, tout en courant, imprimer au moule un mouvement rotatoire, le rattraper sans répandre les briques, déposer celles-ci sur le sol et retirer le moule sans les déformer. Il arrivait parfois qu’un apprenti faisait un pâté en versant son moule. C’était alors un chahut à n’en plus finir. Lorsqu’un ouvrier renversait une brouette, échappait un moule ou devenait incapable de continuer son travail, ses camarades se hâtaient de proclamer qu’il avait vêlé.