Page:Trollope - Le Cousin Henry.djvu/146

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La seule voix qui lui eût parlé avec bienveillance, depuis son arrivée dans ce pays détesté, était celle du vieux fermier Griffiths. Encore cette voix était-elle devenue sévère ; mais dans cette sévérité même il y avait un peu de compassion. Il pensa que s’il y avait quelqu’un à qui il pût conter son histoire, c’était à M. Griffiths. Il se décida sur-le-champ à aller à Coed. Il avait bien encore devant lui cet autre moyen d’échapper à ses tourments que lui offraient les rochers et la mer. Tandis qu’il se rendait, le matin, à l’endroit où il était couché en ce moment, il en avait eu la pensée, mais sans croire qu’il aurait l’énergie nécessaire pour un tel acte ; il était presque certain, au contraire, que, le moment venu, le courage lui manquerait. Pourtant, se disait-il, le courage viendra peut-être. Qu’un mouvement soudain l’emportât en avant, il espérait que Dieu, ayant égard à ses souffrances, lui pardonnerait sa faute. Mais en considérant l’endroit, en voyant qu’il tomberait sur les rochers et non dans la mer, et que sa mort serait instantanée, il réfléchit que Dieu ne pardonnerait pas une faute dont il n’aurait pas le temps de se repentir. C’était donc encore un moyen auquel il ne pouvait avoir recours. Il ne lui restait plus qu’à s’adresser au fermier Griffiths.

« Vous voilà donc encore à rôder sur les terres de mon père ? »

Le cousin Henry reconnut aussitôt la voix de son ennemi le plus acharné, le jeune Cantor, et, si accablé qu’il fût, il éprouva le sentiment d’orgueil froissé d’un propriétaire à qui l’on interdit l’accès de sa propre terre. « Je suppose que j’ai le droit de me promener sur mes terres ? dit-il.

— Je ne sais pas si ce sont vos terres, répliqua le fils du fermier ; je n’en sais rien du tout. Il y a des gens qui en parlent beaucoup ; moi, je ne dis rien :