Page:Trollope - Le Cousin Henry.djvu/194

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Oui, c’était l’affaire de M. Apjohn ; et il pensa qu’il pouvait bien mettre des bâtons dans les roues de cet avoué si fin. Ce n’était pas seulement maintenant que celui-ci s’acharnait à l’accuser ; il avait dirigé contre lui des insinuations à un moment où rien encore dans sa manière de vivre et dans son attitude n’avait pu y donner lieu. M. Apjohn avait été tout d’abord son ennemi, et c’était cette inimitié qui avait fait naître chez son oncle l’aversion que celui-ci avait si peu dissimulée. M. Apjohn était maintenant décidé à le ruiner ; il était venu à Llanfeare, se donnant comme son homme d’affaires, son ami, son conseiller, et l’avait amené à exercer cette poursuite en diffamation, simplement pour le livrer à M. Cheekey. Il voyait bien tout cela, ou du moins il croyait voir tout cela dans la conduite de M. Apjohn.

« C’est un habile homme, et il me prend pour un sot. Il a peut-être raison, mais il verra qu’on ne fait pas d’un sot tout ce que l’on veut. »

On lui servit son dîner dans la bibliothèque, et il y passa seul toute la soirée, comme il l’avait fait tous les jours depuis la mort de son oncle. Mais cette nuit ne lui paraissait pas ressembler aux autres : il se sentait vivre ; il se faisait dans son esprit un travail inaccoutumé. Il avait un acte à accomplir, et, quoiqu’il ne fût pas déterminé à l’accomplir cette nuit même, il était tout heureux d’avoir pris un parti, de sentir comme exorcisé l’esprit muet qui refusait de parler en lui, d’être sorti de cette affreuse torpeur des jours précédents. Non, ce ne serait pas encore cette nuit que le testament serait brûlé, mais il le serait. Il n’avait pas vécu tant qu’il avait cherché des moyens de salut sans en pouvoir trouver ; il n’avait pas vécu tant qu’il avait passé ses journées dans la pièce même où était le testament. Il avait eu peur de sa femme de charge, du