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§ XI. — Les propriétaires commencent à pouvoir se décharger du travail de la culture sur des cultivateurs salariés.

Cependant puisque la terre rendait au maître qui la cultivait non-seulement sa subsistance, non-seulement de quoi se procurer par la voie de l’échange le moyen de satisfaire à ses autres besoins, mais encore un superflu considérable, il put avec ce superflu payer des hommes pour cultiver sa terre, et pour des hommes qui vivent de salaires, autant valait les gagner à ce métier qu’à tout autre. La propriété dut donc être séparée du travail de la culture, et bientôt elle le fut.

§ XII. — Inégalité dans le partage des propriétés : causes qui la rendent inévitable.

Les premiers propriétaires occupèrent d’abord, comme on l’a déjà dit, autant de terrain que leurs forces leur permettaient d’en cultiver avec leur famille. Un homme plus fort, plus laborieux, plus inquiet de l’avenir, en prit davantage qu’un homme d’un caractère opposé ; celui dont la famille était plus nombreuse, ayant plus de bras, étendit davantage ses possessions : c’était déjà une première inégalité.

Tous les terrains ne sont pas également fertiles ; deux hommes avec la même étendue de terrain et le même travail peuvent en tirer un produit fort différent : seconde source d’inégalité.

Les propriétés, en passant des pères aux enfants, se partagent en portions plus ou moins petites, suivant que les familles sont plus ou moins nombreuses ; à mesure que les générations se succèdent, tantôt les héritages se subdivisent encore, tantôt ils se réunissent de nouveau par l’extinction des branches : troisième source d’inégalité.

Le contraste de l’intelligence, de l’activité et surtout de l’économie des uns avec l’indolence, l’inaction et la dissipation des autres, fut un quatrième principe d’inégalité et le plus puissant de tous.

Le propriétaire négligent et sans prévoyance, qui cultive mal, qui dans les années abondantes consume en choses frivoles la totalité de son superflu, se trouve réduit, au moindre accident, à demander du secours à son voisin plus sage et à vivre d’emprunt. Si par de nouveaux accidents, ou par la continuation de sa négligence, il se trouve hors d’état de rendre, s’il est obligé de faire de nouveaux emprunts, il n’aura enfin d’autre ressource que d’abandonner une partie ou même la totalité de son fonds à son créancier, qui la pren-