Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/154

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Par exemple, si dix-huit pintes de vin d’Anjou sont l’équivalent d’un mouton, dix-huit pintes de vin du Cap seront l’équivalent de dix-huit moutons. Ainsi celui qui, pour faire connaître la valeur d’un mouton, dirait qu’il vaut dix-huit pintes de vin, emploierait un langage équivoque et qui ne donnerait aucune idée précise, à moins qu’il n’ajoutât beaucoup d’explications, ce qui serait très-incommode.

On a donc dû choisir par préférence, pour échelle de comparaison, des denrées qui, étant d’un usage plus commun et par là d’une valeur plus connue, étaient plus semblables les unes aux autres et dont par conséquent la valeur était plus relative au nombre ou à la quantité qu’à la qualité.

§ XXXVIII. — Au défaut de l’exacte correspondance entre la valeur et le nombre ou la quantité, on y supplée par une évaluation moyenne qui devient une espèce de monnaie idéale.

Dans un pays où il n’y a qu’une race de moutons, on peut facilement prendre la valeur d’une toison ou celle d’un mouton pour la mesure commune des valeurs, et l’on dira qu’une barrique de vin ou une pièce d’étoffe valent un certain nombre de toisons ou de moutons. — À la vérité il y a entre les moutons quelque inégalité ; mais quand il s’agit de vendre des moutons, on a soin d’évaluer cette inégalité et de compter par exemple deux agneaux pour un mouton. Lorsqu’il s’agit d’évaluer toute autre marchandise, on prend pour unité la valeur commune d’un mouton d’un âge moyen et d’une force moyenne.

De cette sorte, l’énonciation des valeurs en moutons devient comme un langage de convention, et ce mot un mouton, dans les habitudes du commerce, ne signifie plus qu’une certaine valeur qui, dans l’esprit de ceux qui l’entendent, porte l’idée non-seulement d’un mouton, mais d’une certaine quantité de chacune des denrées les plus communes, qui sont regardées comme l’équivalent de cette valeur ; et cette expression finira si bien par s’appliquer à une valeur fictive et abstraite plutôt qu’à un mouton réel, que si par hasard il arrive une mortalité sur les moutons, et que pour en avoir un il faille donner le double de blé ou de vin qu’on donnait auparavant, on dira qu’un mouton vaut deux moutons, plutôt que de changer l’expression à laquelle on est accoutumé pour toutes les autres valeurs.