Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/176

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teur de l’exiger : il suffit pour cela que son argent soit à lui, et ce droit est inséparable de la propriété. Celui qui achète du pain a pour motif de se nourrir ; mais le droit qu’a le boulanger d’en exiger un prix est très-indépendant de cet usage du pain : c’est le même droit qu’il aurait de lui vendre des pierres ; droit fondé uniquement sur ce que le pain étant à lui, personne n’a droit de l’obliger à le donner pour rien.

§ LXXV. — Le taux de l’intérêt ne doit être fixé que comme celui de toutes les marchandises, par le seul cours du commerce.

J’ai déjà dit que l’intérêt de l’argent prêté se réglait, comme celui de toutes les autres marchandises, par la balance de l’offre à la demande. Ainsi, quand il y a beaucoup d’emprunteurs qui ont besoin d’argent, l’intérêt de l’argent devient plus haut ; quand il y a beaucoup de possesseurs d’argent qui en offrent à prêter, l’intérêt baisse. C’est donc encore une erreur de croire que l’intérêt de l’argent dans le commerce doive être fixé par les lois des princes : c’est un prix courant qui se règle de lui-même comme celui de toutes les autres marchandises. Ce prix est un peu différent suivant le plus ou le moins de sûreté qu’a le prêteur de ne pas perdre son capital ; mais, à sûreté égale, il doit hausser ou baisser à raison de l’abondance et du besoin, et la loi ne doit pas plus fixer le taux de l’intérêt de l’argent qu’elle ne doit taxer toutes les autres marchandises qui ont cours dans le commerce.

§ LXXVI. — L’argent a dans le commerce deux évaluations distinctes : l’une exprime la quantité d’argent qu’on donne pour se procurer les différentes espèces de denrées ; l’autre exprime le rapport d’une somme d’argent à l’intérêt qu’elle procure suivant le cours du commerce.

Il paraît, par ce développement de la manière dont l’argent se vend, ou se loue moyennant un intérêt annuel, qu’il y a deux manières d’évaluer l’argent dans le commerce.

Pour les achats et les ventes, un certain poids d’argent représente une certaine quantité de valeurs ou de marchandises de chaque espèce ; par exemple, une once d’argent équivaut à une certaine quantité de blé ou à un certain nombre de journées d’homme. Dans le prêt et dans le commerce d’argent, un capital est l’équivalent d’une rente égale à une portion déterminée de ce capital, et réciproquement une rente annuelle représente un capital égal au montant de cette rente répété un certain nombre de fois, suivant que l’intérêt est à un denier plus ou moins haut.