Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/19

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homme qui unissait à beaucoup de talent un caractère très-énergique[1], et qui était admirateur passionné de Fénelon, de Vauvenargues, de Voltaire et de J.-J. Rousseau. Guérin, Sigorgne et l’abbé Bon, tous trois gens de mérite, apprécièrent promptement ce que valait Turgot ; et l’amitié qu’ils lui portèrent, loin de se refroidir par la suite, devint une vénération si profonde, qu’ils répétaient souvent qu’ils s’estimaient heureux d’avoir vécu dans le même siècle que lui.

En Sorbonne, il eut pour condisciples et pour amis des hommes dont les noms, quoique à des titres divers, appartiennent tous à l’histoire. C’étaient les abbés de Brienne, de Boisgelin, de Véry, de Cicé, et André Morellet[2], que le sort

  1. Lorsqu’en 1748 le gouvernement poussa la complaisance pour l’Angleterre jusqu’à arrêter le prince Charles-Édouard au sortir de l’Opéra, à le garrotter, à le jeter en prison, et à l’expulser du territoire comme un malfaiteur, l’abbé Bon, indigné, composa une pièce de vers qui commençait ainsi :
    Peuple jadis si fier, aujourd’hui si servile, etc.

    Le roi et Mme de Pompadour y étant fort maltraités, la police mit tout en œuvre pour découvrir l’auteur. Elle n’y parvint point, mais sut que l’abbé Sigorgne avait délivré des copies de cette pièce, et on le jeta à la Bastille. Incapable de trahir le secret de l’amitié, Sigorgne resta plus d’un an dans cette prison, et n’en sortit que pour être exilé en Lorraine. Désespéré de cet événement, l’abbé Bon ne traîna plus depuis lors qu’une vie languissante. Plus tard, la maison de Turgot devint la sienne, et c’est sous ce toit hospitalier qu’il est mort. (Voyez Morellet, Mémoires inédits.)

  2. L’abbé Loménie de Brienne devint successivement évèque de Condom, archevêque de Toulouse, archevêque de Sens, et ministre de Louis XVI, qui, en 1787, le donna pour successeur à Calonne. L’abbé Morellet le peint comme dévoré d’ambition dès sa jeunesse, ce qui paraît exact ; mais c’est à tort qu’il lui attribue le Conciliateur, admirable petit traité sur la tolérance due par l’État à toutes les opinions religieuses, publié par Turgot en 1701. — Boisgelin (de Cucé), prélat philosophe comme le précédent, mais homme d’un mérite bien supérieur, fut archevêque d’Aix en 1770, et a laissé d’honorables souvenirs d’administration en Provence. C’est lui qui prononça, en 1775, le discours solennel qu’exigeait la cérémonie du sacre de Louis XVI, discours qui fut interrompu deux fois par de nombreux applaudissements. Il devint membre de l’Académie française l’année suivante, et a fait partie de l’Assemblée des notables et de l’Assemblée constituante. Boisgelin, qui avait émigré en Angleterre, rentra en France en 1801, et il y est mort, en 1804, cardinal et archevêque de Tours — L’abbé de Véry n’a d’autre mérite aux yeux de l’histoire que d’avoir, en 1774, usé de son influence sur l’esprit de Mme de Maurepas pour faire appeler Turgot au ministère. — L’abbé de Cicé devint archevêque de Bordeaux, et se distingua, comme Boisgelin, dans l’administration des affaires de sa province. — On sait que Morellet, l’un des esprits les