Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cessité l’exige, afin de ne pas du moins suivre les conséquences d’un préjugé qu’on craint de renverser, comme on suivrait celles d’un principe dont la vérité serait reconnue.

XVIII. — Examen et développement des vrais principes du droit naturel sur la matière de l’intérêt de l’argent.

C’est d’après ce point de vue que je hasarde d’entrer ici dans une discussion assez étendue, pour faire voir le peu de fondement des opinions de ceux qui ont condamné l’intérêt du prêt fait sans aliénation du capital, et la fixation de cet intérêt par la seule convention. Quoique les lumières des personnes auxquelles ce Mémoire est destiné pussent et dussent peut-être me dispenser d’appuyer sur des raisonnements dont l’évidence est, pour ainsi dire, trop grande, la multitude de ceux qui conservent les préjugés que j’ai à combattre, et les motifs respectables qui les y attachent, m’excuseront auprès d’elles ; et je suis persuadé que ceux dont j’attaque les opinions auront beaucoup plus de peine à me pardonner.

XIX. — Preuve de la légitimité du prêt à intérêt, tirée du besoin absolu que le commerce en a ; développement de cette nécessité.

C’est d’abord une preuve bien forte contre les principes adoptés par les théologiens rigoristes sur la matière du prêt à intérêt, que la nécessité absolue de ce prêt pour la prospérité et pour le soutien du commerce ; car quel homme raisonnable et religieux en même temps peut supposer que la Divinité ait interdit une chose absolument nécessaire à la prospérité des sociétés ? Or, la nécessité du prêt à intérêt pour le commerce, et par conséquent pour la société civile, est prouvée d’abord par la tolérance que le besoin absolu du commerce a forcé d’accorder à ce genre de négociations, malgré les préjugés rigoureux et des théologiens et des jurisconsultes : cette nécessité est d’ailleurs une chose évidente par elle-même. J’ai déjà dit qu’il n’y a pas sur la terre une place de commerce où la plus grande partie des entreprises ne roulent sur l’argent emprunté ; il n’est pas un seul négociant, peut-être, qui ne soit souvent obligé de recourir à la bourse d’autrui ; le plus riche en capitaux ne pourrait même s’assurer de n’avoir jamais besoin de cette ressource qu’en gardant une partie de ses fonds oisifs, et en diminuant par conséquent l’étendue de ses entreprises. Il n’est pas moins évident que ces capitaux étrangers, nécessaires à tous les né-