Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/248

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des circonstances qui, en se combinant diversement entre elles, et avec le prix de l’intérêt, doivent souvent en porter le taux plus haut qu’il ne l’est dans le cours ordinaire du commerce. Il est assez évident qu’un prêteur ne peut se déterminer à risquer son capital que par l’appât d’un profit plus grand, et il ne l’est pas moins que l’emprunteur ne se déterminera à payer un intérêt plus fort qu’autant que ses besoins seront plus urgents, et qu’il espérera tirer de cet argent un plus grand profit.

XXI. — Les inégalités du taux à raison de l’inégalité des risques n’ont rien que de juste.

Que peut-il y avoir à cela d’injuste ?

Peut-on exiger d’un propriétaire d’argent qu’il risque son fonds sans aucun dédommagement ?

Il peut ne pas prêter, dit-on : sans doute ; et c’est cela même qui prouve qu’en prêtant il peut exiger un profit qui soit proportionné à son risque. Car, pourquoi voudrait-on priver celui qui, en empruntant, ne peut donner de sûretés satisfaisantes, d’un secours dont il a un besoin absolu ?

Pourquoi voudrait-on lui ôter les moyens de tenter des entreprises dans lesquelles il espère s’enrichir ?

Aucune loi, ni civile ni religieuse, n’oblige personne à lui procurer des secours gratuits ; pourquoi la loi civile ou religieuse défendrait-elle de lui en procurer au prix auquel il consent de les payer pour son propre avantage ?

XXII. — La légitimité du prêt à intérêt est indépendante des suppositions de profit cessant, ou naissant.

L’impossibilité absolue de faire subsister le commerce sans le prêt à intérêt n’a pu être méconnue par ceux mêmes qui affectent le plus de le condamner.

La plupart ont cherché à éluder la rigueur de leurs propres principes par des distinctions et des subterfuges scolastiques, de profit cessant pour le prêteur, de profit naissant pour l’emprunteur ; comme si l’usage que l’acheteur fait de la chose vendue était une circonstance essentielle à la légitimité du prix ; comme si le propriétaire d’un meuble qui n’en fait aucun usage était obligé à l’alternative de le donner ou de le garder ; comme si le prix que le boulanger retire du pain qu’il vend n’était pas également légitime, soit que l’acheteur s’en nourrisse, soit qu’il le laisse perdre.