Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/258

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à-dire que l’argent reçu aujourd’hui et l’argent qui doit être rendu dans un an sont deux choses parfaitement égales. Les auteurs qui raisonnent ainsi oublient que ce n’est pas la valeur de l’argent, lorsqu’il aura été rendu, qu’il faut comparer avec la valeur de l’argent au moment où il est prêté ; mais que c’est la valeur de la promesse d’une somme d’argent, qu’il faut comparer avec une somme d’argent effective. Ils supposent que c’est l’argent rendu qui est, dans le contrat de prêt, l’équivalent de l’argent prêté, et ils supposent en cela une chose absurde, car c’est au moment du contrat qu’il faut considérer les conditions respectives ; et c’est dans ce moment qu’il faut en établir l’égalité. Or, au moment du prêt, il n’existe certainement qu’une somme d’argent d’un côté et une promesse de l’autre. Si ces messieurs supposent qu’une somme de mille francs et une promesse de mille francs ont précisément la même valeur, ils font une supposition plus absurde encore ; si ces deux choses étaient équivalentes, pourquoi emprunterait-on ?

Il est bien singulier qu’ils partent du principe de l’égalité de valeur qui doit avoir lieu dans les conventions, pour établir un système suivant lequel l’avantage est tout entier pour une des parties, et entièrement nul pour l’autre. Rien n’est assurément plus palpable ; car, quand on me rend, au bout de quelques années, un argent que j’ai prêté sans intérêt, il est bien clair que je n’ai rien gagné, et qu’après avoir été privé de son usage et avoir risqué de le perdre, je n’ai précisément que ce que j’aurais si je l’avais gardé pendant ce temps dans mon coffre. Il n’est pas moins clair que l’emprunteur a tiré avantage de cet argent, puisqu’il n’a eu d’autre motif pour l’emprunter que cet avantage ; j’aurai donc donné quelque chose pour rien, j’aurai été généreux ; mais si, par ma générosité, j’ai donné quelque chose de réel, j’ai donc pu le vendre sans injustice.

C’est faire bien de l’honneur aux sophismes frivoles des adversaires du prêt à intérêt que de les réfuter aussi longuement que je l’ai fait. Ce ne sont pas leurs raisonnements qui ont jamais persuadé personne. — Mais quand on est persuadé par le préjugé de l’éducation, par des autorités qu’on respecte, par la connexité supposée d’un système avec des principes consacrés, alors on fait usage de toutes les subtilités imaginables pour défendre des opinions auxquelles pu est attaché ; on n’oublie rien pour se faire illusion à soi-même, et les meilleurs esprits en viennent quelquefois à bout.