Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/266

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de l’intérêt exigé sans aliénation du capital, est devenue une spéculation abandonnée aux théologiens rigoristes, et dans la pratique, toutes les opérations et de commerce et de finance roulent sur le prêt à intérêt sans aliénation du capital.

XXXI. — À quel genre d’usure se borne aujourd’hui la flétrissure
attachée au nom d’usurier.

Le nom d’usurier ne se donne presque plus, dans la société, qu’aux prêteurs à la petite semaine, à cause du taux élevé de l’intérêt qu’ils exigent ; à quelques fripiers qui prêtent sur gages aux petits bourgeois et aux artisans dans la détresse ; enfin à ces hommes infâmes qui font métier de fournir, à des intérêts énormes, aux enfants de famille dérangés de quoi subvenir à leur libertinage et à leurs folles dépenses. Ce n’est plus que sur ces trois espèces d’usuriers que tombe la flétrissure attachée à ce nom, et eux seuls sont encore quelquefois les objets de la sévérité des lois anciennes qui subsistent contre l’usure. De ces trois sortes d’usuriers, il n’y a cependant que les derniers qui fassent dans la société un mal réel. Les prêteurs à la petite semaine fournissent aux agents d’un commerce indispensable les avances dont ceux-ci ne peuvent se passer, et si ce secours est mis à un prix très-haut, ce haut prix est la compensation des risques que court le capital par l’insolvabilité fréquente des emprunteurs, et de l’avilissement attaché à cette manière de faire valoir son argent ; car cet avilissement écarte nécessairement de ce genre de commerce beaucoup de capitalistes dont la concurrence pourrait seule diminuer le taux de l’intérêt. Il ne reste que ceux qui se déterminent à passer par-dessus la honte, et qui ne s’y déterminent que par l’assurance d’un grand profit. Les petits marchands qui empruntent ainsi à la petite semaine sont bien loin de se plaindre des prêteurs, dont ils ont à tout moment besoin, et qui au fond les mettent en état de gagner leur vie ; aussi la police et le ministère public les laissent-ils fort tranquilles. Les prêteurs sur gage à gros intérêts, les seuls qui prêtent véritablement au pauvre pour ses besoins journaliers, et non pour le mettre en état de gagner, ne font point le même mal que ces anciens usuriers qui conduisaient par degrés à la misère et à l’esclavage les pauvres citoyens auxquels ils avaient procuré des secours funestes. Celui qui emprunte sur gage emprunte sur un effet dont il lui est absolument possible de se passer. S’il n’est pas en état de rendre le capital et